La Noiraude a été invitée à participer au dossier « La nouvelle française : même pas morte ! » du numéro 129 de la revue « 813 ». Un « tableau d’honneur » d’ex lauréat-e-s du concours co-organisé avec Noir sur la Ville, qui se sont vu édité-e-s par la suite, a été réalisé à cette occasion. C’était donc le moment de leur poser quelques questions et revenir sur leurs expériences respectives.
Après Anne-Céline Dartevel, voici les réponses d’Annick Demouzon, lauréate en 2010 pour sa nouvelle « La Marguerite » publiée dans le recueil « Y’a pas de sots métiers ».
1 – Au moment de votre publication dans le recueil La Noiraude / Noir sur la Ville, où en étiez vous, dans votre activité d’écriture ?
J’ai toujours écrit. Depuis l’enfance. Et même avant de savoir écrire. (Si, si.). Des livres illustrés que je racontais à tous ceux qui passaient. Mais lorsque j’ai enfin « écrit » pour de bon, je n’ai jamais trop cherché à me faire lire, encore moins à me faire éditer. Si ce n’est l’exception — sur l’ordre exprès de mes amis — d’un recueil de poésie, Sur le chemin de l’oiseau-feuille, publié par les éditions Saint Germain des prés quand j’étais encore jeunaude. Ce n’est qu’en 2005 que, poussée (très fort) par mes deux fils, qui ne me laissaient pas d’autre choix, j’ai pris le risque d’être lue et ai présenté quelques-unes de mes nouvelles à des concours. Sans y croire. Aussi quelle surprise lorsque j’ai été lauréate à 50% d’entre eux ! J’en étais baba, mais ça m’a donné confiance, j’ai eu envie de continuer.
Au moment de la parution de ma nouvelle La Marguerite dans recueil Y’a pas de sot métiers, en 2011, puis, quelques mois plus tard de mes deux recueils, Virages dangereux (Le bas vénitien) et À l’ombre des grands bois (Le Rocher) — qui a reçu le convoité Prix Prométhée de la nouvelle —, cela faisait six ans déjà que j’affrontais les jurys de nouvelles. Avec d’appréciables succès, je peux le dire, qui m’ont fait oser l’édition. Mais ma première participation a un prix « polar »ne date que de 2007 (pour le prix de la RTBF) avec une nouvelle plus noire que polar (« pas tout à fait polar, m’a-t-on dit, mais bien noire »). Ce qui lui a valu « seulement » une mention (à cause du « pas tout à fait polar »), mais qui m’a encouragée à continuer dans cette voie. Plutôt noire que polar… Le noir convient très bien à la nouvelle, je trouve. J’y ai récolté assez facilement des prix.
2 – Aviez-vous une volonté ferme d’écrire du Noir ? Ou du policier ? Ou peu vous importait alors le genre des nouvelles attendues pour les concours en général ?
Au départ, aucune volonté ferme de quoi que ce soit. Pour moi, passer au polar a plutôt été un défi (et si tu essayais ?), une gageure. Histoire de changer. Je n’en ai donc pas fait non plus une règle, parce que j’aime ne pas faire toujours la même chose et que je préfère goûter un peu à tout. Provoquer parfois aussi, ou déranger, aller là où on ne m’attend pas. Une fois, par exemple, j’ai envoyé à un concours généraliste une nouvelle si noire que je savais que ça ne passerait pas (il y a des femmes dans les jurys). Et ce n’est pas passé. Mais grâce à ce concours, j’ai écrit, cette nouvelle que je n’aurais pas écrite sinon et qui a rejoint le recueil Virages dangereux.
3 – Ce concours, comme beaucoup d’autres, est à thème : une contrainte pour vous ?
Oui c’était une contrainte. Une délicieuse contrainte. J’adorais ça. Les contraintes me stimulent. Je détestais les concours sans thème et ne savais quoi leur envoyer, ça me prenait un temps pour choisir — et pique et pique et colégram — donc y participais peu, mais plus le thème était tordu (voire vicieux), plus je me régalais. Je me rajoutais même des contraintes supplémentaires. Par exemple : faire entrer cette nouvelle non seulement dans le thème du concours, mais aussi dans un des thèmes choisis pour mes recueils en construction, ou prévoir de le proposer à deux concours différents au même moment, tout en respectant chacun des deux thèmes. C’était très amusant et riche de tant de possibles. C’est de la contrainte que nous viennent toutes sortes d’idées que, sinon, nous n’aurions pas eues.
J’avoue que je regrette beaucoup de ne plus trop pouvoir participer aux concours. Par manque de temps certes (être publié réclame beaucoup de temps… avant et … après la parution : fabriquer les manuscrits, trouver un éditeur, puis défendre et faire connaître le livre), mais aussi, peut-être plus encore, parce que je suis « interdite » à pas mal de concours, parmi les meilleurs, pour cause de publication antérieure ou pour y avoir été déjà lauréate… Pourtant, j’aimais vraiment cela : pour la contrainte du thème, d’une part, et pour les rencontres dont les remises de prix étaient l’occasion.
La période des concours a été une des plus belles périodes de ma vie, je dois le dire. Et celui organisé par la Noiraude, un des plus sympas.
4 – Ce concours a-t-il déclenché des envies plus grandes d’écriture chez vous, ou non ?
Non. Le mal était déjà fait, mais il m’a donné davantage envie d’être publiée et lue et, surtout, j’ai adoré dédicacer en groupe sur cette grande table couverte de peaux de vaches (ou quasi, en tout cas, dans mon souvenir). J’en ai gardé une grande nostalgie. C’est nettement plus rigolo que de dédicacer seule dans son coin. Ah, ces moments où, les uns après les autres, nous prenions connaissance de la dédicace de celui qui avait signé avant nous, pour voir comment nous allions pouvoir lui « répondre » tout en nous adressant — c’est la règle — au dédicataire. C’était une belle contrainte ça aussi. Et ça reste un très bon souvenir de concours.
5 – Avez-vous tout de suite essayé de vous lancer dans un roman … si ce n’était pas déjà le cas auparavant…
J’écrivais déjà, en parallèle aux nouvelles, un roman. En fait, il y en a eu plusieurs, tous malchanceux, dont aucun, pour l’instant, n’a vu le jour. Scénario à répétition : ils devaient être publiés, c’était presque fait et puis, crac, au dernier moment, un revers (j’ai pensé « une couille » qui est plus dans le sens, mais je n’ose pas l’écrire, ce n’est pas comme cela qu’on s’exprime quand on est polie). Exemple, du genre le plus désagréable : la maison d’édition fermée juste au moment de l’envoi du manuscrit (revu et prêt) à l’imprimeur… Après ça, difficile de continuer d’y croire. Le manuscrit a rejoint, comme les autres, ce grand tiroir imaginaire où pourrissent tant de manuscrits inexploités de par le monde.
Un truc comme ça, ça vous coupe les ailes.
6 – Continuez-vous à écrire des nouvelles ? Pourquoi ou pourquoi pas (ah ah!)
Quelle est cette allusion perfide, Frédéric Monsieur le Président ? Est-ce qu’on penserait ou suggérerait dans sa petite tête que la nouvelle est inférieure au roman ? Et qu’il y aurait quelque chose de honteux à s’y adonner malgré tout, quelque chose d’inavouable ? Tout juste bon à occuper les jurés des concours.
Je n’entrerai pas dans ce débat rabâché, mais je pense ET DIS TRÈS HAUT qu’il y a de la place pour toutes les formes de cet art qu’est l’écriture. La nouvelle est une forme comme le roman, la poésie et le théâtre en sont d’autres. Mais un délice d’orfèvre, une broderie fait main, un travail d’artisan. On peut la peaufiner, oser aussi, le dérangeant, sans avoir peur d’user le lecteur, innover, bousculer. Grâce à sa longueur justement : il n’y en a pas, ça évite l’ennui. Mais, malgré tout, pas si facile, la nouvelle, pour celui qui l’écrit, et tout le plaisir est là. L’écrire est jouissance. La nouvelle, il faut l’aimer pour qu’elle nous aime, mais quand elle nous aime… Certains romanciers de renom ont bien tenté de s’y frotter. Sans forcément de succès. Le renom ne suffit pas. Parce que ce n’est pas seulement un texte d’apprentissage, comme le pensent certains, elle est un genre. À part entière. Le plus dur, et le moins drôle, dans la nouvelle, reste, de loin, de (tenter de) se faire éditer.
Et vous pouvez rajouter ce que vous voulez pour votre défense…
Noir, polar, fantastique ou nouvelle dite « littéraire », on devrait redonner davantage de place à la nouvelle en France. On — un « pronom malhonnête », tout le monde le sait — dit que « ça vient », mais ça fait des années que j’entends ça et rien ne change, et rien ne vient. Interviewez les éditeurs (pas en public, ils ne seraient pas francs, mais en privé ou au téléphone) : « Oh non, encore de la nouvelle : mais ça ne se vend pas ! » Eh si, tu la mettais un peu en vue, la nouvelle, Toto, elle se vendrait davantage.
Je pourrais ajouter ici l’histoire de ces huit exemplaires de Virages dangereux restés sur l’étagère du libraire par la faute du distributeur, suite à une dédicace où je n’étais plus, et qui sont partis très vite tout seuls, sans que personne n’aient rien fait pour les y aider… (Soupir rêveur.)
S’il n’y avait pas les concours pour faire vivre un peu la nouvelle…
Et, en ce moment, je suis en plein dans ce sujet : nouvelle ou pas nouvelle. Non seulement, j’ai lâché depuis peu un recueil à la recherche d’un éditeur valeureux ou inconscient, mais je cherche aussi à faire rééditer VirageS Dangereux, « édition revue et augmentée », comme on dit. Noir mais pas vraiment polar. Je viens juste d’en boucler la relecture (qui a été longue parce que je n’aime pas bâcler), d’imprimer les manuscrits, malgré la mauvaise volonté de ma (vieille, trop vieille) imprimante qu’il va falloir remplacer et, maintenant, faut que j’envoie… mais où ? à qui ? Au casse-pipe, Toto.
Il faut être fou (ou folle) pour écrire de la nouvelle. Je les entends, je les vois : « Oh zut, de la nouvelle » et même pas du genre revue pour femme, Amour et Aventure ou de ces nouvelles mignonnes et anodines que semblent affectionner certains : aussitôt lues, aussitôt oubliées, au moins ça ne fait peur à personne.
Ça va être dur je le sens. Mais quand on a pris le virus… Il faut me comprendre, Monsieur le Président.
Depuis la publication de « Y’a pas de sots métiers », Annick Demouzon a publié « Virages dangereux », édition Bas vénitien, 2011.
Prochaine parole de lauréate => Léo Lamarche
Justine Richecoeur pour La Noiraude